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Probablement le blender le plus connu au monde, Greg Pease est aussi reconnu comme un
expert en pipes - un des plus demandés par la communauté pipière internationale. Sa collection
personnelle comprend de vieilles bruyères anglaises comme des pipes scandinaves avant-gardistes.
Il a aussi montré un certain talent comme designer, en aidant Larry Roush à créer une nouvelle
forme classique, la Pokerhawk.
Récemment, Greg a publié ses réflexions sur la pipe et les tabac dans son " blender's notebook "
(NdT : carnet de notes du blender), une série d'articles parus sur son site web.
Affichant la perspicacité combinée de l'esthétique et de la science propre à GLP, ces notes
apporteront beaucoup à ceux qui pratiquent et veulent en savoir plus ce hobby. Mais Pfeifenbox
voulait en savoir plus sur un point non traité à ce jour : comment un expert reconnu évalue et
décrit ce qu'il considère comme une pipe d'exception ?
Quand vous évaluez des pipes, quels sont les critères que vous considérez comme universels
et qui selon vous s'appliquent seulement à quelques marques de pipes " haut de gamme " -
ou celles présentées comme telles ? Y a-t-il des critères universels ?
GLP : Je pense qu'il doit y avoir un conduit d'air relié à son fourneau de manière raisonnable.
La pipe ne devrait pas enflammer le tabac lors de l'allumage, ou s'éteindre rapidement pendant
qu'elle est fumée. Il y a certains critères que j'attend de la part d'une bonne pipe, que je ne
rechercherais pas dans une pipe " industrielle ". Bien sûr, j'attends un certain niveau de qualité
de la part d'une pipe de milieu de gamme, pour lesquelles un ajustage et une finition peuvent être
de qualité. Stanwell, par exemple, a un cahier des charges méthodologique qui permet de produire des
pipes bien réalisées à des prix raisonnables. Elles sont percées précisément, leurs tuyaux s'ajustent
au corps de pipe correctement, et une bruyère de bonne qualité, bien traitée, est généralement
utilisée. Stanwell produit environ 350 pipes par jour, et prouve qu'une production en masse peut
s'accorder avec une certaine qualité.
Il y a souvent de petits détails distinguant les pipes de milieu de gamme des pipes d'excellente
qualité. Bien qu'une pipe d'usine puisse être excellente, plutôt que bonne, c'est quelque part une
question de chance. L'artisan pipier, d'un autre côté, a un contrôle plus complet de tout le
processus de fabrication. Il sélectionnera un ébauchon avec précaution, trouvera une forme dans le
bois s'accordant parfaitement avec le grain, et concevra une pipe spécialement pour cette pièce de
bruyère. Il prendra le temps qu'il faut pour percer le conduit avec finesse, ajustera le tuyau
parfaitement, et dans certains cas poussera la perfection jusqu'à polir les surfaces de contact pour
qu'aucune liaison ne soit visible lors de l'assemblage de la pipe. Bien que ces détails n'aient rienà voir avec les qualités de fumage de la pipe, cela indique avec précision l'attention que le pipier
fournit lors de toutes les phases de fabrication de la pipe. Le confort du tuyau est une autre
considération importante, si celui-ci est réalisé en interne. Ceci, avec le perçage de la tige, peut
vraiment affecter la manière dont une pipe fumera. Une attention extrême à chacun de ces petits détails
augmentera la probabilité d'obtenir une pipe de qualité exceptionnelle, naissant d'un bloc de bruyère
d'excellente facture.
En dernier lieu, il y a les finitions. Une pipe sablée à la machine ne produira pas la même sensation
de chatoiement, la lueur magnifique que l'on peut obtenir avec une pièce terminée manuellement. Une
pipe produite à la machine pourra être enduite de cire, de laque ou autre, lui donnant une belle apparence lorsqu'elle est neuve, mais après quelques utilisations, elle perdra son lustre et apparaîtra
sans âme. Une belle pipe terminée à la main, d'un autre côté, gagne richesse et profondeur au fil
de ses utilisations. Même lorsque la cire est passée, ou imprégnée dans le bois, cette lueur, ce
chatoiement perdureront. Une merveilleuse pipe produite manuellement développe une belle patine
au fil du temps qui améliore sa beauté.
Quand je regarde une pipe d'usine, je regarde les choses évidentes, et à un moindre degré, les détails.
Mais quand j'examine une pipe faite à la main haut de gamme, je suis beaucoup plus critique sur les
détails pouvant paraître insignifiants.
Et oui, j'ai même été connu pour utiliser mon penlight (NdT : petit stylo lampe de poche)
Dans quelle mesure les remarques précédentes faites sur une marque influencent votre avis ?
Est-ce que réciproquement, le travail réalisé sur une pipe pèse dans votre estimation du travail
d'un artisan pipier ?
GLP : Il est impossible d'avoir une ligne de conduite basée sur une seule expérience. Un
exemplaire peut être excellemment réalisé, tandis que le reste de la production peut être banal.
Je pense qu'il est nécessaire de rechercher un fil conducteur au travail de l'artisan afin établir
une évaluation parlante de sa qualité, sans se préoccuper de la moyenne de sa production. J'essaie de
trouver une sorte de ligne artistique, des points communs reliant ses créations, un style propre.
Cela ne veut pas dire que je vais aimer toutes les productions de cet artisan, mais que je m'attendsà retrouver un style artistique cohérent, même parmi les exemplaires auxquels je ne porte pas une
réelle attention. Je pense que n'importe quel fabricant de pipes peut produire une pipe fantastique
de temps à autre. C'est celui qui peut reproduire ce travail encore et encore que je remarquerai.
Une seule pipe peut m'atteindre, me saisir réellement. Si je peux parvenir à l'ajouter à ma collection,
cet exemplaire pourra être une de mes pipes favorites, mais cela n'implique pas nécessairement que
tout le travail du fabricant est du même acabit que celle que j'ai acquise, que je m'attend à obtenir
plus de la part du créateur, ou que je le recommanderai à mes amis collectionneurs. Quand l'artisan
a fabriqué cette pipe, il a placé la barre assez haut, et il doit maintenant l'atteindre encore et
encore. Ceux qui réussissent cela, ceux qui s'améliorent à chaque création, sont les artisans qui
sortiront du lot au fil du temps. C'est une des raisons pour lesquelles cela prend du temps pour être
reconnu dans ce métier. Le collectionneur pur et dur veut voir cette qualité de travail perdurer dans
le temps. Il n'est pas intéressé par celui qui fait quelques belles pipes puis disparaît. Ils veulent
participer activement à sa carrière.
Est-il possible d'employer le même langage en parlant des pipes de catégories complètement différentes ?
Beaucoup de gens détestent des limites telles que "Qualité supérieure" ou "Abordable" - Mais pouvons-nous
vraiment faire abstraction de ces qualifications, particulièrement en comparant des pipes ?
GLP : Nous essayons de ne pas trop employer ce vocabulaire, spécialement des mots comme ceux-ci.
Ce qui est de qualité abordable pour certains pourra être d'une qualité supérieure pour un autre.
Le prix et la qualité ne sont pas nécessairement en corrélation. Le vocabulaire propre à notre hobby
est souvent assez nébuleux. L'idée d'une pipe de grande qualité pour un collectionneur donné pourra
n'être que de qualité commune pour un autre. Honnêtement, je n'aime pas beaucoup le langage des
grands collectionneurs, je pense qu'il tend trop souvent à obscurcir plutôt qu'à clarifier les choses,
qu'il peut être plus diviseur que rassembleur. Je collectionne les vieilles GBD, qui peuvent être pour
beaucoup de vieilles pipes communes de catégorie moyenne. Mais GBD a établi plusieurs formes devenues
classiques qui n'avaient jamais été réalisé, et ils ont beaucoup innové. Ces vieilles pipes ont une
belle ligne, et sont souvent faites dans de la très belle bruyère. Pour être clair, elles ne sont pas
des pipes de grande qualité comme ont les définit aujourd'hui, mais elles sont spéciales, mais elles
veulent dire beaucoup pour moi, en tant que collectionneur et fumeur. Je ne les compare pas au travail
de Bo Nordh, bien sûr, mais je ne pense pas qu'elles desservent les pipes de moyenne catégorie, bien au
contraire. Ce sont de bons exemples de ce que les pipes de cette catégorie doivent être.
Donc, non. Nous ne pouvons réellement employer le même vocabulaire pour parler des pipes d'excellente
qualité, si nous voulons distinguer les qualités recherchées dans ces dernières des qualités que nous
recherchons dans des pipes moins prestigieuses.
Je ne suis pas non plus d'accord avec le qualificatif d' "artisan" (en français dans le texte) pour
décrire les grands fabricants de pipes. Je pense que cela dénote quelque chose de moins prestigieux que
ce qu'ils sont réellement. Un " artisan " est un homme doué, qui ne doit pas être pris à la légère.
Mais un grand fabricant de pipes est un réel artiste, ne faisant qu'un avec la bruyère. Certes, leurs
réalisations sont connues, mais leur sens artistique les empêche d'être mis dans le même panier qu'un
artisan orfèvre ou un mécanicien.
Le réel problème est de trouver le bon langage à employer. Les mots peuvent indiquer quelque chose de
qualité, mais ce n'est nécessairement ce dont nous voudrions parler. Les pipes Castello sont
d'excellente qualité, mais doivent être qualifiées différemment du travail de Kent Rasmussen, de Larry
Roush ou encore de Cornélius Manz.
La qualification ne signifie plus rien non plus. Une pipe Roush 'rustiquée' est d'excellente qualité à
la vue de tous les standards objectifs auxquels je pense, excepté pour l'utilisation du grain de la
bruyère, et même cela est défendable. Peut être le créateur a-t-il fait de son mieux pour exploiter
au mieux le grain en le cachant derrière un 'rusticage' artistique- mais beaucoup ne classeraient pas
une pipe rustiquée comme une réalisation de grande qualité.
Il y a aussi la question de la désunion. J'ai connu plus d'un collectionneur choqué que ne considère
pas les pipes Dunhill comme étant de qualité supérieure. Je n'ai pas dit que ce n'était pas de grandes
pipes, mais elles ne rentraient pas dans ma définition de l'excellence. Nous vraiment avons besoin de
mots plus significatifs pour discuter de ce passe-temps à moins que nous ne soyons disposés à maintenir
un contexte de discussions sensibles. Nous avons besoin de sortir des sentiers battus et parler de
tout ceci dans un sens plus général. Je pense que nous sommes désespérément perdus dans notre
vocabulaire.
Désolé si j'ai soulevé plus de questions que celle à laquelle j'ai répondu.
En conclusion, vous recevez parfois le travail des pipiers débutants. Comment évaluez-vous leur potentiel ?
C'est difficile. J'aimerais couper court et dire que c'est juste une question de feeling, et c'est
probablement partiellement vrai. Il y a un pipier américain dont les premières pipes n'étaient
clairement pas ce que l'on aurait pu attendre d'un professionnel, mais il y avait quelque chose dans
ses pipes, et quelque chose à propos de la manière dont ce pipier parlait de son travail, qui montrait
d'étonnantes promesses. Il était clair que ses mains n'étaient pas encore en phase avec son esprit,
et qu'il avait besoin de travailler davantage certains points. Mais cette personne était dévouée,
talentueuse, et il est maintenant surprenant de voir les progrès réalisés. Il a pris son temps pour
apprendre à faire les choses correctement, et cela a été payant dans son cas. Je suis très impressionné
par ses dernières réalisations, et je vois promis à un grand avenir.
Tout ceci ramène à la qualité générale du travail. Une seule pipe ne fait pas tout. Quand je peux
examiner quelques pièces, je peux me faire une idée sur la qualité du travail fourni, et dans quel
sens cela va aller. Je pense que c'est là que l'on peut évaluer les progrès réalisés. Ce sont ceux
qui atteignent leurs limites, et qui semblent toujours essayer d'obtenir quelque chose de plus qui
semblent avoir un vrai potentiel.
J'étais récemment en train d'examiner une photo du travail en cours d'un nouveau pipier, et j'ai eu
l'impression qu'il était excessivement trop prudent. Je l'ai appelé pour le lui dire, et j'ai suggéré
qu'il " se lâche ". Quelques jours plus tard, il m'a envoyé la photo de la pipe finie. C'était
fantastique. Au lieu d'être bridé comme auparavant, il s'était libéré. Il avait cela en lui, il avait
juste besoin de quelqu'un qui trouve les mots pour le lui dire.
Bien sûr, si tout ceci échoue, il y a encore le Ouija ou la boule de cristal…
Propos recueillis le 27 janvier 2004