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Le collectionneur de pipes le plus connu de Belgique s'est spécialisé dans la linguistique et la littérature françaises. Erwin Van Hove considère la France comme sa deuxième patrie et s'est entretenu avec plusieurs pipiers français. Ces dernières années il s'est formé une bonne idée des particularités de la pipe faite en France.Bien qu'il garde une attitude critique envers leur production, Erwin est convaincu que les pipiers français sont sous-estimés. Dans cette interview, il souligne un fait indiscutable : les bruyères françaises procurent un excellent goût.


Où est passée la grande pipe française d'antan ?

EVH:
Je ne crois pas à la grande pipe française d'antan. Il est vrai qu'il y a quelques décennies, les pipes françaises étaient considérées comme d'excellents outils de fumage avec un rapport qualité/prix très attractif. Quand j'ai commencé à fumer la pipe dans la seconde moitié des années 70, le choix qui s'imposait à un débutant était une pipe française. Dès lors, j'en ai acheté beaucoup : des bas de amme et des Butz-Choquin faites main, ce que nous appellerions aujourd'hui du milieu de gamme. Jamais je ne suis tombé sur une pipe qui fumait mal. En réalité, certaines de ces pipes n'ont jamais cessé de faire partie de ma rotation. Ceci dit, je n'ai jamais eu l'impression que j'étais en train de fumer des pipes prestigieuses. Plus tard, je suis passé aux pipes anglaises et italiennes. Puis je me suis intéressé aux danoises, aux allemandes et aux américaines. De plus en plus je commençais à regarder les pipes françaises avec dédain : elles ne me paraissaient plus séduisantes, bon nombre d'entre elles étaient visiblement truffées de mastic, leur exécution, construction et finition n'atteignaient pas le niveau de celles que j'achetais en Italie, en Allemagne et au Danemark. Ce n'est que récemment que j'ai commencé à acheter à nouveau des françaises. Et je dois dire qu'elles m'ont surpris. Ce sont toujours des pipes très agréables à fumer. En fait, une pipe française contemporaine est très similaire à celle de l'époque dite " grande ".
Il est indéniable que la communauté internationale des passionnés de la pipe ne considère plus la France comme un pays producteur important. Le manque de vrai design, l'absence d'artisans pipiers célèbres etde bon marketing en sont responsables. Récemment Chacom, Butz, EWA et Jeantet ont tenté de proposer du " design ". Ils ont commis une grave erreur : au lieu d'avoir engagé des artisans pipiers chevronnés pour créer de nouveaux modèles, comme le font Stanwell et Brebbia, ils ont employé les services de designers étrangers à l'univers de la pipe. Les résultats étaient très décevants. Je n'avais aucun espoir que les choses changent. Mais il y a à peu près un an, Butz-Choquin a été repris par un jeune manager. Il est allé au Chicago Pipe Show pour découvrir ce qui se fait à l'étranger. Il
s'intéresse à la concurrence internationale, aux modèles nouveaux et au marketing moderne. Je vois donc une lueur d'espoir, mais pas encore pour le futur immédiat.
Par ailleurs, je suis convaincu que dans une dizaine d'années il n'y aura plus qu'un seul grand producteur français. Quant à l'artisanat pipier, je ne vois aucun signe qui prédit un avenir meilleur. Il n'y a plus qu'une demi-douzaine de vrais artisans actifs et ils ne sont plus vraiment jeunes. Leurs ateliers sont condamnés à fermer vu qu'il n'y a pas de jeunes à qui ils pourraient passer le flambeau.
Quoi qu'il en soit, si les marques françaises veulent redorer leur blason et reconquérir leur prestige d'antan, il ne suffira pas d'introduire de nouveaux designs. Il est évident qu'elles auront à affronter plusieurs problèmes si elles veulent réussir à nouveau à séduire les connaisseurs internationaux. Il faudra des perçages mieux exécutés (la majorité des courbes ne passe pas le test de la chenillette), des tuyaux et des lentilles plus fins et surtout moins de mastiquage. Ce ne sont que les Français qui acceptent sans problème l'emploi de mastic et qui systématiquement préfèrent une pipe lisse mastiquéeà une pipe guillochée ou sablée.

Pourquoi la France est-elle tellement coupée du reste du monde en matière de design ?

Je distingue plusieurs raisons. Premièrement, il y a la mentalité et la culture typiquement françaises. Les Français ont tendance à croire que leur culture est vraiment particulière, voire supérieure. Dès lors, pourquoi s'intéresseraient-ils aux tendances et aux évolutions sur le marché international ? Ils n'en voient tout simplement pas la nécessité. Deuxièmement l'industrie pipière française est concentrée dans les montagnes du Jura. Cette région a toujours été isolée du reste du monde. Dans ce microcosme les différents producteurs passent leur temps à s'épier et perdent de vue le reste du monde. En outre, très tôt les pipes françaises étaient produites dans des usines et pas par de véritables artisans. Cela n'a jamais changé. Or, c'est un fait que ce sont des artisans individuels qui innovent et qui fontévoluer design et style. De là le conservatisme français. Finalement, les entreprises françaises n'ont pas ressenti le besoin de changements fondamentaux parce qu'elles ont toujours pu se baser sur un marché local très fort : les fumeurs de pipes français achètent des pipes françaises. Et puis, il faut le dire, jusqu'à ce jour Chacom et Butz-Choquin réussissent à vendre leurs produits sur les cinq continents. Ils sont donc persuadés que leurs produits sont toujours séduisants.

Est-ce qu'il y a vraiment une clientèle pour ces pipes aux couleurs criardes produites par
Chacom et Butz ?

Puisque Chacom et Butz continuent à fabriquer des pipes pareilles, de toute évidence il existe un marché pour ce genre de produit. Il faut savoir que la pipe BC qui se vend le mieux en Allemagne est un modèle en laque bleue !

Qui, aujourd'hui, produit les meilleurs pipes françaises ?

Au niveau de l'exécution, de la construction, de la finition et de l'attention prêtée aux détails, aucun pipier français n'égale les maîtres danois etc. Ceci dit, il existe toujours des pipes françaises qui valent la peine. Butz-Choquin propose de bonnes fait main à des prix plus que corrects. Les tout meilleures pipes de la série " Collection " sont faites par Alain Albuisson dans des plateaux de la meilleure qualité. Jacky Craen, le pipier qui fait les Genod, ne produit pas uniquement des pipesà la machine, mais également de très belles pipes entièrement faites main. Sa spécialité, c'est les pipes avec un perçage courbe, dans une finition naturelle sans teinture. L'année prochaine, Craen arrêtera les activités de son atelier et ne fera plus que des fait main pour s'amuser. Le pipier à la fois le plus créatif et techniquement le plus fort, c'est Pierre Morel. Quoique ses becs manquent de finesse, ses jointures tuyau/tige et les décorations dont il munit ses pipes, sont extrêmement bien exécutées. Il fait aussi bien des modèles classiques que des freehands, soit dans une finition naturelle, soit teintées dans une typique et chaude couleur entre l'orange et le rouge. Il n'y a qu'un seul problème : la production de Morel est particulièrement limitée. Par ailleurs, le haut de gamme de Chacom est également taillé par Pierre Morel. Craen et Morel font des pipes qui sont un plaisir à fumer malgré le fait que leurs tuyaux pourraient être plus confortables.

Qu'est-ce qui confère aux pipes françaises ce goût particulier que toi et d'autres remarquent ?


Je ne crois pas que les pipes françaises aient un goût spécial. En réalité, très peu de marques ou de pipiers produisent des pipes au goût typique. Il n'y a que Dunhill, Castello et Jess Chonowitsch qui ont un goût identifiable. Ceci dit, en général les pipes françaises produisent une saveur vraiment agréable. A l'époque, les producteurs français utilisaient pas mal de bruyère algérienne, célèbre pour ses excellentes caractéristiques. En outre, la bruyère était très longuement séchée dans des granges dans le climat froid et humide du Jura. Un séchage long et lent influe positivement sur le goût de la bruyère. Toutefois, aujourd'hui uniquement Chacom emploie encore ce genre de grange. BC emploie un grenier pour sécher la bruyère, mais en moyenne pas plus d'un an. Depuis que la production de bruyère en Algérie a été arrêtée, les pipiers français emploient du bois de diverses'origines : grecque, marocaine, italienne. La raison pour laquelle les pipes contemporaines continuent à développer une excellente saveur, souvent meilleure que celle de concurrents comme Savinelli ou Stanwell, demeure un mystère.

Propos recueillis le 26 octobre 2003